Décès d’Olivier Picard, ancien président de la SFN (1940-2023)

©Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, cliché Juliette Agnel.

            Olivier Picard nous a quittés le 1er septembre 2023.

            La nouvelle, inattendue, s’est répandue avec une vitesse qui témoigne du prestige dont il jouissait auprès des membres de notre Société et dans le monde scientifique en France et à l’étranger, parmi tous ceux qui s’intéressent à la monnaie et à la Grèce antique – prestige qui s’explique par l’œuvre monumentale qu’il nous laisse, par son dévouement aux institutions d’enseignement et de recherche, par sa chaleur humaine et l’intérêt réel qu’il portait à chacun.

            Issu d’une famille d’illustres archéologues, Olivier Picard a passé son enfance entre Carthage et Tunis, où son père Gilbert-Charles Picard assurait la direction du Service des antiquités. Les grands sites de la région ont constitué le décor de sa vie quotidienne jusqu’à l’installation de la famille à Strasbourg, où il découvrit à quinze ans la rudesse du climat local. Il fut reçu à l’École normale supérieure en 1960. C’est là qu’il rencontra Paule, élève de l’École normale supérieure de Sèvres, qui devint son épouse en 1965 et qu’il eut à ses côtés pendant toute sa vie.

            À l’École normale supérieure, il se lança après l’agrégation d’histoire dans la préparation du concours de l’École française d’Athènes, suivant ainsi la voie de son grand-père Charles Picard. Membre de l’École d’Athènes de 1966 à 1971, il noua alors des relations d’amitié étroite et fidèle avec un grand nombre de nos collègues grecs.

            Parmi les différents domaines de l’archéologie, il fut d’abord attiré par l’architecture. Quoi de commun, dira-t-on, entre les grands monuments qui attirent aujourd’hui des foules de touristes et les petits objets que sont les monnaies, qu’il faut parfois regarder avec une loupe ? Pourtant, les uns et les autres se situent à la rencontre de la politique, de l’économie, de la religion, constituant un élément majeur de l’identité des cités grecques, qu’ils permettent d’aborder d’un point de vue pratique. C’est bien cela qui attira définitivement Olivier Picard vers la numismatique, dont l’intérêt lui avait été révélé par l’enseignement de Georges Le Rider à l’École pratique des Hautes études.

            À l’École d’Athènes, il fut d’abord chargé d’un chantier archéologique à Latô en Crète, avec son ami Pierre Ducrey, puis à Thasos dans le nord de l’Égée. Georges Le Rider lui transmit alors le dossier des monnaies trouvées dans les fouilles de Thasos. Olivier Picard s’attaqua aux milliers de monnaies, la plupart en bronze, qui se trouvaient dans les apothèques du musée. Il fallut leur donner un numéro d’inventaire, les nettoyer car il n’y avait pas encore de restaurateurs sur place, les identifier sans se laisser décourager par leur mauvais état de conservation, les peser, les mesurer, les enregistrer une à une dans des fiches manuscrites d’abord, qu’il fallut par la suite saisir sur ordinateur puis convertir dans un logiciel susceptible d’effectuer des tris, et cela pour des monnaies pouvant aller de la fin de l’époque archaïque jusqu’à l’époque byzantine. Il fit le même travail de fourmi sur d’autres sites archéologiques, notamment Xanthos et le Létôon en Lycie – avant de me transmettre ce dossier – et Alexandrie d’Égypte, où le mena, après 1992, la solide amitié nouée à l’École d’Athènes avec Jean-Yves Empereur, le fondateur du Centre d’études alexandrines. Les trouvailles d’Alexandrie ont été publiées en 2012. Si Olivier Picard n’a pas mené jusqu’à son point final la publication globale de celles de Thasos – néanmoins près de l’achèvement, c’est d’une part en raison de l’ampleur du matériel à traiter et de la réflexion à mener sur la meilleure manière de le rendre accessible à l’ère du numérique, d’autre part parce qu’il n’a cessé de revoir et affiner le classement de ce matériel abondant et que celui-ci a nourri sa réflexion non seulement sur la politique monétaire de la cité de Thasos, mais plus généralement sur le rôle de la monnaie dans les cités grecques, donnant lieu à un nombre considérable d’articles fondateurs.

            Parallèlement aux travaux sur les chantiers de fouilles de l’École d’Athènes, il entama pendant ses années de membre l’étude du monnayage de Chalcis en Eubée, en s’interrogeant sur la manière dont il éclairait le rôle de la cité dans la Confédération eubéenne. Ce fut son doctorat d’État, publié en 1979 et qui lui permit de devenir Professeur à l’Université de Nanterre où il avait été recruté d’abord comme assistant au sortir de l’École d’Athènes.

            Il fut ensuite directeur de l’École française d’Athènes, de 1981 à 1992. Il y imprima sa marque, notamment en créant une section moderne et contemporaine. C’était une époque de bouleversements en Europe : les pays communistes s’ouvraient sur l’extérieur, dès avant la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique. Olivier Picard orienta l’École vers des collaborations avec les pays du nord des Balkans et de la Mer Noire. Lui-même s’impliqua particulièrement en Albanie, où il se rendit pour la première fois en 1985. La longue coopération avec notre collègue Shpresa Gjongecaj-Vangjeli donna lieu à des études sur le monnayage d’Apollonia d’Illyrie, où Olivier Picard retrouvait des problématiques qui l’occupaient à Thasos, à savoir l’histoire d’une fondation grecque et de ses relations avec les autochtones de l’arrière-pays. Plus récemment, elle a abouti à la traduction en français de l’ouvrage de Shpresa Gjongecaj-Vangjeli sur les Trésors de monnaies antiques trouvés en Albanie publié par l’École d’Athènes en 2019.

            Après son retour d’Athènes en 1992, Olivier Picard put consacrer plus de temps à la recherche et retrouva avec plaisir le métier de professeur. Il succéda rapidement, en 1993, à Georges Le Rider à Paris-Sorbonne (Paris IV), où il resta professeur jusqu’en 2009. Sa carrière fut couronnée par l’élection à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 2009 et il présidait l’Institut de France en 2023. Il assurait ainsi, ces dernières années, la défense de la numismatique, avec Cécile Morrisson, et plus largement de l’histoire et de la civilisation grecques. C’est dans ce cadre qu’il écrivit plusieurs beaux articles dans le Journal des Savants ou les « Cahiers de la Villa Kérylos ». Il n’a jamais cessé de s’investir considérablement dans les tâches collectives, faisant bénéficier plusieurs institutions de son expérience et de ses talents d’administrateur. Je signalerai seulement ici son rôle dans le lancement de la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie à Nanterre, dont il fut le premier directeur de 1996 à 1999. Il était très actif dans les sociétés savantes, notamment l’Association pour l’encouragement des Études grecques. En ce qui concerne la Société française de numismatique, il la présida de 1995 à 1997 et fut codirecteur de la Revue numismatique de 1997 à 2014. Les marques de reconnaissance internationale ont été nombreuses, dans les pays des Balkans et ailleurs. La Commission internationale de numismatique le chargea du chapitre sur la Grèce et l’Asie Mineure à l’époque archaïque et classique pour le Survey 1985-1990, avec Manto Oikonomidou, et 1990-1995. Il fut chargé en 1999 du séminaire d’été de la Société américaine de numismatique à New York.  

            Il était très attaché à son enseignement et à ses élèves. Il attira de nombreux doctorants, Français et étrangers, venus en nombre de Grèce, mais aussi d’Albanie, de Turquie, de Syrie et du Canada. Ce rayonnement est à l’origine de la publication de plusieurs monographies, souvent des études de coin du monnayage d’une cité, ce qui n’est pas si fréquent. Les titres de ces ouvrages rendent hommage à celui choisi par Olivier Picard pour son livre sur Chalcis, « étude de numismatique et d’histoire », et perpétuent la tradition française initiée par Georges Le Rider qui consiste à étudier la monnaie non pas pour elle-même mais bien pour son apport à l’histoire des États antiques.

            Olivier Picard aimait aussi faire découvrir l’histoire de la Grèce antique à des étudiants plus jeunes, qui n’allaient pas se spécialiser en numismatique ni même en histoire antique. Il a consacré un temps important à la rédaction de plusieurs manuels portant sur le programme de l’agrégation d’histoire, dès 1980 et jusqu’en 2007, contribution majeure à la formation de plusieurs générations d’étudiants et futurs professeurs.

            Olivier Picard s’est intéressé à la monnaie grecque (nomisma) comme élément des institutions d’une cité grecque et de ses lois (nomos). Confrontant les textes anciens et les inscriptions à la monnaie, il a mis en évidence la distinction que faisaient les Grecs entre la monnaie hellénique d’une part, commune à tous les Grecs selon les mots de Platon, utilisée pour les paiements importants faits par un État plutôt en direction de l’extérieur, et la monnaie locale d’autre part, « épichorique » dans la terminologie grecque, utilisée à l’intérieur de la cité pour les menus échanges de la vie quotidienne. C’est là un de ses plus grands apports à la numismatique grecque : il faut prendre en compte tous les monnayages frappés ou, à défaut, utilisés par une cité pour en comprendre l’histoire et la politique monétaire.

            Partant, Olivier Picard a été pionnier dans l’étude des petites dénominations d’argent et plus encore dans celle des monnaies de bronze, découvertes principalement dans les fouilles et qui étaient largement délaissées jusque là par les numismates au profit des métaux plus nobles. Olivier Picard pouvait ainsi s’appuyer sur un matériel abondant, dont l’absence même, ponctuelle ou plus durable, pouvait être utilisée pour retracer l’histoire de la cité-État considérée. Le colloque qu’il organisa à la Sorbonne sur la valeur des monnaies de bronze dans l’Antiquité, publié dans la Revue numismatique en 1998, est un des premiers jalons de cette nouvelle approche.

            Toujours ouvert aux idées nouvelles, il s’est intéressé très tôt aux aspects techniques de la frappe monétaire et a été un des collaborateurs du Centre Ernest Babelon dès sa fondation. Si les méthodes d’analyse et les réalités géologiques n’ont pas apporté les résultats qu’il espérait sur le lien entre mines d’argent et monnaie, question qui l’a occupé toute sa vie, elles pouvaient éclairer la fabrication des monnaies de bronze et les manipulations opérées par les cités : la longue collaboration avec Jean-Noël Barrandon donna lieu, entre autres, à un ouvrage sur les Monnaies de bronze de Marseille, paru en 2007.

            Olivier Picard aimait le contact humain et le travail en collaboration. Il aimait former la jeunesse et il emmenait régulièrement des étudiants pour les initier à l’étude ardue des monnaies de fouilles, dans un compagnonnage dont l’autrice de ces lignes a eu la chance de bénéficier pendant de longues années, à Thasos et à Alexandrie.

            C’est à Thasos, à l’issue d’un dernier été consacré à des moments partagés avec sa famille et à des discussions avec de vieux amis, des collègues de longue date et des jeunes chercheurs, que la Parque a choisi de couper le fil de sa vie, dans ce lieu qu’il aimait tant et qui a servi de fil conducteur à son œuvre scientifique. 

            Si l’on en croit Hérodote, l’Athénien Solon, un des sept sages de la Grèce, estimait qu’on ne peut juger du bonheur d’un homme qu’après sa mort. Si douloureuse que soit pour nous son absence, je crois que nous pouvons dire qu’Olivier Picard a eu une belle vie.

Marie-Christine Marcellesi