Décès de Françoise Dumas (1932-2024)

Françoise Dumas (14 octobre 1932-21 mars 2024)

Françoise Dumas nous a quittés le 21 mars après avoir lutté pendant des années avec le soutien de son mari Etienne contre l’inexorable progrès de la maladie de Parkinson, puis, après le décès brutal de celui-ci en 2000, avec l’aide de ses quatre enfants, manifestant en cette dernière épreuve le courage qui la caractérisait.

Elle était née Françoise Dubourg d’un père ingénieur dont elle avait hérité probablement sa rigueur scientifique tandis que son grand-père, ancien doyen de la Faculté de droit de Dijon lui léguait son attachement à l’histoire bourguignonne, sa bibliothèque et son intérêt pour la numismatique[1]. Dès son entrée à l’Ecole des Chartes en 1953 dont elle sortit 3e en 1957, elle fréquente les cours de numismatique médiévale de Jean Lafaurie à l’EPHE, et les fréquente encore en 1958/1959[2]. Elle est alors entrée au Cabinet des Médailles comme stagiaire puis conservateur[3], affectation toute normale puisqu’elle avait consacré son mémoire de l’Ecole aux Monnaies des ducs de Bourgogne. Elle travaillera au Département vingt ans sans discontinuer et nombre d’entre nous se souviennent de sa présence studieuse dans le premier bureau de conservateur de la Salle Barthélemy comme de sa disponibilité à répondre à des questions ciblées mais en évitant tout bavardage inutile, condition indispensable de ses nombreuses études que nous allons évoquer. Ce qui pouvait passer pour de la sévérité à ceux qui ne la connaissaient pas et les impressionnaient, n’empêchait pas le plaisir des échanges à l’heure du déjeuner frugal dans la « crèmerie » de la rue Colbert avec quelques amies chartistes, ou jeunes numismates comme Claude Brenot. Nous y étions souvent rejoints par son époux dont l’humour acéré séduisait et terrifiait tour à tour. Le repas était toujours pris à heure fixe puisque le Cabinet fermait alors entre midi et une heure. À heure fixe aussi le souci de ses quatre enfants nés entre 1959 et 1972 lui faisait ranger ses dossiers et regagner l’appartement du Bd Raspail où elle savait aussi recevoir visiteurs étrangers et collègues et leur faire connaître des artistes amis de son mari architecte, centralien de la promotion 1957, admis aux Beaux-arts en 1954, qui travailla notamment à la construction de la Tour Montparnasse puis fut à la fin des années 80 l’architecte chargé des bâtiments de la BN.

Elle quitta le Cabinet des Médailles à quarante-cinq ans en pleine maturité, après la nomination de Georges Le Rider à la tête de la Bibliothèque nationale et celle d’Hélène Nicolet comme directeur du Département en 1977. De novembre 1978 à novembre 1981 elle dirigea le Service des publications de la Bibliothèque et succéda à cette date à Mme Marguerite Hautecoeur comme directeur de la Bibliothèque de l’Institut de France, avec le titre de conservateur général jusqu’à son départ en retraite en 1994.

Le témoignage d’Annie Chassagne, conservateur à la bibliothèque de l’Institut (BIF) de 1983 à 2011, qui a bien connu Françoise Dumas et que je remercie, permet de décrire un dernier aspect de ses talents : l’énergie dans l’organisation et son souci de la modernisation et de l’ouverture. Elle eut en effet à mettre en ordre le rapatriement de Chantilly de l’immense collection Spoelberch de Lovenjoul, à en intégrer les 1 500 manuscrits de Balzac et d’autres et les périodiques manquant à la BIF. Elle mit en œuvre la numérisation du catalogue au format OCLC. Elle prit aussi l’initiative d’ouvrir un espace à côté de la salle de lecture consacré aux nouvelles acquisitions et à la presse, toujours apprécié des académiciens de nos jours. Elle voulut accueillir les lecteurs extérieurs et institua cette tradition toujours observée mais désormais limitée par l’obligation d’une recommandation académique.

Marc Bompaire va retracer son rôle à la SFN, à la Société des Antiquaires de France et surtout son apport à la numismatique française. Pour ne pas froisser la modestie de Marc j’évoque la réception de l’ouvrage majeur qu’il écrivit avec elle, le volume Numismatique médiévale de la série « l’Atelier du Médiéviste », qui parut en 2000 et reçut le Prix Duchalais de l’AIBL.  L’ouvrage fit l’objet de multiples comptes rendus, dont voici quelques extraits. Dans la BEC  159/2, 2001, 643-646) J. Kerhervé loue les auteurs qui « s’avançant avec prudence et modestie, en dépit de leur science et de leur virtuosité, ne dissimulent rien des difficultés du sujet…. » « Formés à la sévère école des chartistes, ils ont produit un ouvrage d’une haute tenue…une belle œuvre dans la grande tradition de l’érudition numismatique française ». Notre collègue Christophe Vellet soulignait dans la RN, 157, 2001, p. 522-524 que ce « véritable ouvrage de référence » « répondra… à une attente des spécialistes autant qu’à celle des non spécialistes vis-à-vis d’une discipline en mal de synthèses, particulièrement en langue française » « L’ensemble fourmille d’exemples concrets, d’avis de bon sens pratique » « un outil de travail quotidien du spécialiste et une mine de renseignements, un véritable ouvrage de référence ». Il reste en effet vingt ans après une référence établie puisque l’éditeur en prévoit une édition mise à jour à laquelle Marc va s’atteler. Cette carrière brillante de bibliothécaire et de chercheur fut accompagnée de nombreux prix : prix de la société de Sauvegarde de l’art français, de la SFN (prix Babut à quatre reprises) ou de l’AIBL (prix Duchalais à trois reprises – un record – et second prix Gobert en 1971) et distinctions (Palmes académiques)…

[M. B.] À côté des distinctions reçues par Françoise Dumas et dont l’une a ainsi rejailli sur moi, j’évoquerai son attachement et sa fidélité à deux sociétés savantes, la société nationale des Antiquaires de France où après avoir été élue membre résidant en 1987 elle fut successivement secrétaire adjointe, secrétaire en 1988-1990 et second puis premier vice-Président en 2000-2002 et bien sûr la SFN.

Le mois qui suivit son élection, sous le parrainage de Jean Babelon et Jean Lafaurie, elle y prononçait en mai 1958 sa première communication et celles-ci se succèdent durant la période où elle était au Cabinet des médailles et de façon plus espacée ensuite (plus de 50 jusqu’à 2009), mais elle resta longtemps assidue à nos séances où elle parut pour la dernière fois lors de l’AG de 2017. Ses contributions à la RN depuis 1958 ont suivi la même évolution, de 1958 jusqu’à son article de 2015, cosigné avec sa camarade de promotion des chartes Monique Mestayer, qui propose une lecture monétaire des comptes de Douai du xive siècle édités par cette dernière. Le recours aux archives se manifeste dès son premier gros article de 1959 sur « Les frappes monétaires en Béarn et Basse Navarre d’après les comptes conservés aux archives départementales des Basses-Pyrénées » qui venait éclairer l’étude du « trésor de Lescun (Basse-Pyrénées) » qu’elle proposait dans le même volume de la RN, un diptyque illustrant sa méthode de travail et son implication dans l’étude des trésors monétaires.

Son implication dans la vie de la SFN se manifeste aussi par sa participation fidèle aux Journées numismatiques depuis 1959 jusqu’à celles de Dijon en 2009, avec des contributions aux catalogues, et par les responsabilités qu’elle y occupa après son élection comme membre titulaire en1959. Elle fut la première femme à exercer la présidence de 1975 à 1977, au moment même où elle devenait la première directrice élue de la Revue numismatique (de 1977 à 1994). Après lui avoir décerné le titre de membre d’honneur en 1996 notre société lui consacra naturellement en octobre 2007, à l’initiative de Michel Dhénin, une journée d’hommage qui fut publiée dans la RN 2008 où elle dressa la bibliographie thématique de ses travaux, à laquelle nous proposerons un rapide complément à paraître dans la RN 2025.

C’est néanmoins l’importance de ses travaux sur le Moyen Âge français qu’il convient d’évoquer, autour de quatre ouvrages majeurs comme en témoignent les prix et les comptes rendus qui en ont été faits ; ils sont demeurés des références. C’est autour d’eux que s’est déployée son activité de recherche. Sa thèse d’École des chartes sur Le monnayage des ducs de Bourgogne de 1957 a été bientôt exploitée dans deux gros articles des Annales de Bourgogne en 1962 et 1965 qui lui valurent le prix Duchalais en 1966 avant de déboucher sur un ouvrage magistral en 1988 : Le monnayage des ducs de Bourgogne,Louvain-la-Neuve, 1988 , XVIII-419 p., XXX pl. (Publications d’histoire de l’art et d’archéologie de l’université catholique de Louvain, LIII. Numismatica lovaniensia, 8).

Le trésor de Fécamp qui fit l’objet de sa thèse et de son diplôme de l’EPHE fut publié de façon extrêmement soignée en 1971 Le trésor de Fécamp et le monnayage en Francie occidentale pendant la seconde moitié du Xe siècle, Paris, 1971, XXX-303 p., 30 pl. (Comité des travaux historiques et scientifiques. Mémoires de la section d’Archéologie, I) et fut couronné par le second prix Gobert de l’AIBL et le Prix Babut de la SFN.

Ce travail fut prolongé par une série d’articles sur les monnaies normandes, d’une part, et sur les monnaies carolingiennes et la monnaie au xe siècle et en particulier le monnayage du roi Raoul de Bourgogne, autant d’articles qui restent la référence et le point de départ des enquêtes plus récentes.

Il en va de même de l’enquête menées sur les monnaies et monnayages de l’époque de Philippe Auguste dans un article de synthèse qui fait le pendant du volume publié avec Jean-Noël Barrandon Le titre et le poids de fin des monnaies sous le règne de Philippe Auguste, Sophia-Antipolis, 1982, 104 p. (Cahiers Ernest-Babelon, I). Avec cet ouvrage Fr. Dumas ouvrait le champ nouveau des analyses métalliques non destructives menées avec Jean-Noël Barrandon (il s’agit en effet du premier des Cahiers Ernest Babelon). Cet intérêt pour les analyses était déjà présent dans l’étude du trésor de Fécamp en 1971 qui avait posé les jalons d’une étude globale avec des analyses métalliques, métrologiques et des études de coins, une première en numismatique médiévale longtemps restée sans grande postérité jusqu’au développement des photos numériques. Cette collaboration interdisciplinaire avec J.-N. Barrandon l’a aussi conduite à poser la base des recherches sur le monnayage lié aux mines de Melle en Poitou. Pour étudier les monnaies de Philippe Auguste, Fr. Dumas s’est aussi appuyé sur le trésor de Gisors et ses 11 739 pièces, ce qui, avec les 10 000 pièces de Fécamp, témoigne de son courage pour affronter des « trésors géants » et elle a tenu à en assurer la publication en 2013 et à boucler ainsi tous les dossiers sur lesquels elle avait travaillé.

Pour conclure nous pensons qu’une journée Jeunes chercheurs comme celle d’aujourd’hui est la meilleure occasion pour rendre hommage à Françoise Dumas, exemple d’honnêteté et de rigueur scientifique qui fut toujours pleine de bienveillance et d’attention aux demandes de ceux qui la sollicitaient. D’autres plus jeunes que moi en ont fait la précieuse expérience mais je ne peux oublier la façon dont elle fut ma marraine à la SFN et m’accueillit à ma première visite au Cabinet des médailles. Je considère comme un grand privilège d’avoir pu travailler au quotidien avec elle pendant les années consacrées au projet Numismatique médiévale même s’il n’était pas toujours facile de savoir d’emblée si elle avait des réserves sur les premiers jets que je proposais tant elle était faite de discrétion et de bienveillance.

Marc BOMPAIRE et Cécile MORRISSON


[1] Joseph-Bernard-Maurice Vignes (1868-1943). Agrégé de droit, doyen honoraire de la faculté de Droit de Dijon, auteur de plusieurs ouvrages d’économie politique, né à Loupiac Gironde, mort à Tailly, Côte d’Or. https://data.bnf.fr/fr/10713649/maurice_vignes/fr.pdf

[2] Annuaire EPHE 1956/1957, p. 54-55.

[3] Parmi les thèses de la promotion 1957 soutenues du 8 au 11 avril, la BEC 1957 cite celle de Françoise Dubourg et ses rapporteurs P. Deschamps et J. Babelon p. 282