Décès de Jacqueline Pilet-Lemière (1948-2025)
In Memoriam – Jacqueline Pilet-Lemière (1948-2025)

Jacqueline Pilet-Lemière sur les fouilles du Château de Cherbourg qu’elle dirigea entre 1978 et 1981 (Archives CRAHAM)
Jacqueline Pilet-Lemière nous a quittés dans la nuit du 17 au 18 mars 2025. Née le 18 mai 1948 à Cherbourg, dans la Manche, Jacqueline Pilet-Lemière a suivi un cursus d’Histoire à l’Université de Caen, et obtenu en 1971 une maitrise d’Histoire avec un mémoire consacré au cimetière alto-médiéval de Verson (Calvados), en ayant participé à la fouille en 1970-1972. Jacqueline Pilet-Lemière participera voire dirigera plusieurs chantiers de fouille jusqu’en 2005, en France (à Bavent ou encore à Cherbourg, dont les fouilles menées à l’intérieur du castrum du Bas-Empire romain révélèrent un matériel numismatique abondant) comme à l’étranger (en Crimée ou encore en Calabre sur le site du château normand de Scribla). Elle fait partie de cette génération d’archéologues alors formés à Caen par Michel de Boüard, et qui participèrent à la structuration du Centre d’archéologie médiévale (CRAM, actuel CRAHAM) autour notamment de plusieurs services spécialisés. Car c’est bien par l’archéologie que J. Pilet-Lemière en vient à la numismatique, comme responsable dès sa fondation en 1974 du service de numismatique du CRAM. Jusqu’à sa retraite en 2010, elle mènera l’étude et la publication de centaines de trouvailles monétaires de toutes périodes et pour l’ensemble du territoire français. Cela montre incontestablement l’importance d’une façon globale d’envisager la numismatique : spécialiste des monnayages du premier Moyen Âge, J. Pilet-Lemière appartenait aussi à une génération de numismates capables d’ouvrir leur pratique à d’autres horizons. C’est sans doute ici qu’il faut voir l’héritage le plus important de son maître, Jean Lafaurie, dont elle suivit l’enseignement à l’EPHE dès 1973-1974.
Au reste, son intérêt pour l’informatique l’a conduit très tôt à la construction d’une base de données FileMaker© pour l’enregistrement de l’ensemble des trouvailles monétaires (en dépôts ou isolées) qu’elle était amenée à étudier au service de numismatique. Une direction de travail était tracée, dans le souci constant de réunir et de décrire, dans un effort de normalisation de données numismatiques ressortissant à des périodes différentes, un matériel révélé, en particulier, à l’occasion de chantiers de fouilles archéologiques. Par cette attention accordée au terrain, c’est toute la valeur d’un référencement systématique au plus près des usages monétaires anciens que Jacqueline Pilet-Lemière contribua à faire valoir, dans la lignée d’initiatives florissantes dans d’autres pays européens, comme en Allemagne avec le recueil des Fundmünzen der römischen Zeit in Deutschland. Autant dire que cette base – quoique destinée à un usage strictement interne au service – a préfiguré la base désormais nationale Nummus 2 dont la signature du consortium a eu lieu, hasard du calendrier, le jour de son décès. L’ensemble des inventaires réalisés par Jacqueline Pilet-Lemière (env. 10 000 monnaies au moment de son départ à la retraite) est actuellement en cours de rétro-conversion et sera très prochainement accessible à l’ensemble de la communauté des numismates et au-delà.
Elle restera également comme celle qui a permis la finalisation, avec Jean Lafaurie, de l’ouvrage majeur Monnaies du Haut Moyen Âge découvertes en France (ve-viiie siècle), paru en 2003 (Cahiers Ernest Babelon, 8). Elle se rendit toutes les semaines pendant plusieurs années au domicile de M. Lafaurie pour mettre en ordre avec lui la documentation qu’il avait accumulée depuis des décennies et en préparer l’impression. Sans sa patience et son dévouement cette œuvre majeure n’aurait pas vu le jour.
Discrète et serviable, Jacqueline Pilet-Lemière participa activement à l’accompagnement ou à la formation de plusieurs générations d’archéo-numismates (P.-M. Guihard, Th. Cardon, G. Salaün, J. Françoise, J. Chr. Moesgaard, J. Jambu, J. Chameroy, J.-P. Duchemin), passés par son service pour un stage, un mémoire, un programme de recherche ou un contrat. Les aspects muséographiques ont également retenu très tôt son attention, par la participation à des expositions temporaires, mais aussi par son implication aux côtés des équipes du musée de Normandie dans le renouvellement des parcours permanents. En débordant le champ clos de la numismatique, l’archéo-numismatique perd avec Jacqueline Pilet-Lemière une de ses fondatrices.
Jacqueline Pilet-Lemière mit également mis ses talents au service de la SFN où son souvenir restera très présent. Elle y présenta 13 communications publiées dans le BSFN depuis 1978 où elle intervint comme archéonumismate aux Journées numismatiques de Rouen puis en tant que membre titulaire, élue en 1990 sur le rapport de Jean Lafaurie avec le parrainage de Françoise Dumas et de Michel Dhénin. Y transparaît son intérêt pour le haut Moyen Âge pour lequel sa compétence fut reconnue lorsque la CIN lui confia le Survey consacré aux monnaies mérovingiennes publié avec Jean Lafaurie lors du Congrès de Madrid en 2003, l’année même de l’aboutissement de leur long travail de mise en forme du Cahier Ernest Babelon 8. Elle manifesta le même engagement pour faire aboutir projets et publications au sein de la SFN quand elle entra au bureau où elle assura le secrétariat de 1993 à 1998. Le secrétariat comportait alors également le suivi du BSFN pour lequel elle rédigea un volume de tables 1991-1995 (avec la rubrique nouveaux membres). Une tâche dont l’ampleur lui fut reconnue par le titre de secrétaire générale de la Société créé pour elle et l’unanimité quasi parfaite qui se faisait sur son nom lors des élections annuelles du bureau. De fait, elle fut au coeur du lourd travail d’élaboration des statuts actuels de notre société entre l’assemblée générale de 1995 et l’arrêté de 1998 autant qu’elle s’impliqua alors dans la préparation des journées numismatiques. Ces années sont en effet marquées par la publication de catalogues d’ampleur exceptionnelle auxquelles elle contribua (Toulouse 1994) ou dont elle eut la maîtrise (Cherbourg 1995 ou Tours 1997). Les nombreuses collaborations avec des membres de notre société qui apparaissent à la lecture de sa bibliographie témoignent de la place qui était la sienne et des liens d’estime et d’amitié qui s’étaient ainsi tissés avec chacun.
Toutes celles et ceux qui l’ont connue sur les chantiers de fouilles, les musées et en tant d’autres occasions se joindront à nous avec tristesse et émotion au moment d’adresser à sa famille et à ses amis les sincères condoléances du CRAHAM et de la SFN.
Thibault CARDON, Pierre-Marie GUIHARD, Marc BOMPAIRE