Jeton de vermeil 2019 – Mme Helen Wang

M. Michel Amandry annonce que, au nom du conseil des trois anciens présidents de la SFN, Mme Helen Wang du British Museum, a été désignée comme récipiendaire du jeton de vermeil 2019 de la Société française de Numismatique. M. François Thierry prononce l’éloge de la récipiendaire.

Mme Catherine Grandjean, Présidente de la SFN, remettant le jeton de vermeil à Mme Helen Wang

Quand Michel Amandry m’a demandé de présenter Helen Wang lors de la séance de la SFN au cours de laquelle lui serait remis le jeton de vermeil, j’ai été doublement heureux, d’abord que soit honoré quelqu’un qui a consacré sa vie professionnelle à la numismatique d’Extrême-Orient et ensuite que cette personne soit Helen Wang.

Helen Wang commence en 1983 des études de chinois à la prestigieuse School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres et – dans le cadre de ce cursus – elle part un an en Chine à l’Université des Langues et des Cultures de Pékin (Beijing Yuyan Xueyuan) en 1984-1985. Durant son séjour en Chine, elle parcourt le pays de long en large, selon les libertés que lui laissent ses études. Elle visite alors un très grand nombre de sites et de musées, dans les grandes villes comme dans les provinces, car, elle ignorait si l’occasion se représenterait… C’est à Taiwan, lors des fêtes du Nouvel An, qu’elle tombe sur une édition pirate taiwanaise (c’était alors une spécialité de Taiwan) d’un ouvrage d’Aurel Stein, le savant britannique qui, au début du XXe siècle, en concurrence avec Pelliot et Von Lecocq, découvre les sites et les civilisations anciennes du Turkestan chinois. Cette lecture la marque profondément et elle est atteinte du virus de la Route de la Soie. Revenue à Pékin, elle part seule vers l’ouest, en train et en bus, et s’en va jusqu’à Kachgar, au fin fond du Xinjiang. À cette époque, aller à Kachgar, c’était une véritable expédition, il n’y avait pas les lignes de chemins de fer, les routes et les autoroutes dont la Chine a couvert son territoire depuis vingt ans, pas de TGV ni de bus climatisés, pas d’infrastructures touristiques. Aller à Kachgar, c’était manger de la poussière des jours entiers, dormir où on le pouvait et avaler la nourriture rustique de régions encore très pauvres. Elle visite Jiayuguan, Dunhuang, Tourfan, Koutcha, Kashghar et bien d’autres sites sur la Route de la Soie, avec un goût de trop peu, car, à cette époque encore, de nombreux sites sont oubliés, fermés ou interdits aux étrangers. Mais c’est un voyage éblouissant, à une époque particulière dont ceux qui ont connu la Chine des années 1980 ont la nostalgie. L’Asie centrale allait devenir son champ d’études.

De retour à Londres, elle obtient en 1988 sa licence de chinois à la School of Oriental and African Studies (SOAS). En 1991, Joe Cribb, alors conservateur des monnaies orientales au Coins & Medals Department du British Museum, est en quête d’un assistant alors qu’elle-même cherche un travail ; et justement, Helen espère travailler dans un musée. On lui confie la responsabilité des monnaies d’Extrême-Orient, Joe Cribb orientant plutôt ses recherches et ses travaux sur l’Asie centrale kouchane et sur l’Inde du Nord. Au départ, ce poste était prévu pour trois ans, et Helen y est toujours. En 1993, elle devient officiellement Conservateur (Curator) pour les monnaies de l’Asie orientale.

Helen a travaillé, étudié et augmenté les collections dont elle avait la charge : deux travaux majeurs doivent être mentionnés, le Metallurgical Analysis of Chinese Coins in the British Museum en 2005[1], et le catalogue des monnaies japonaises Catalogue of the Japanese Coin Collection (pre-Meiji) at the British Museum with special reference to Kutsuki Masatsuna en 2010[2]. On lui doit – entre autres – plusieurs études importantes, sur les monnaies et signes de reconnaissance des sociétés secrètes chinoises au XIXe siècle[3], sur les billets de la fin des Qing de la région de Shanghaï[4], sur les jetons monétaires de la région de Changzhou au Jiangsu dans les années 30[5]. Elle participe également intensivement à la rédaction des Survey bibliographiques publiés par la Commission Internationale à chaque congrès international de numismatique. Aux frontières de la numismatique, elle a également publié en 2008, un ouvrage de référence sur les badges maoïstes de la Révolution culturelle à partir des collections du British Museum, Chairman Mao Badges, Symbols and Slogans of the Cultural Revolution[6]. Helen anime également un blog consacré à la monnaie chinoise : China Money Maters.

À côté de son travail de conservatrice, elle mène une féconde carrière de chercheuse et de savante, dans le domaine qui l’avait fascinée dans les années 80. Elle passe sa thèse en 2002 sur le thème « Money on the Silk Road: the evidence from Eastern Central Asia to c. AD 800 », qui fut publiée, avec le catalogue des monnaies de la collection d’Aurel Stein, sous le même titre à la British Museum Press[7]. Ce travail est l’aboutissement d’une longue et patiente recherche sur la collection du British Museum, dans les archives de Stein, sur ses publications, et une minutieuse et systématique étude des documents chinois, khotanais, karoshthi ou tokhariens rapportés par ce savant et par certains de ses contemporains, ainsi que sur les rappports de fouilles chinois. Elle nous a ainsi fourni des éléments souvent méconnus, voire inconnus, concernant l’histoire monétaire et économique de l’Asie centrale chinoise. J’ai, pour ma part, abondamment puisé dans cette somme… Dans la continuité de ce travail, Helen a édité en 2003, avec Valérie Hansen, un numéro spécial du Journal of the Royal Asiatic Society, consacré aux Textiles as Money on the Silk Road[8]. Dans cette publication indispensable pour qui s’intéresse à la monnaie, outre la rédaction de l’introduction et d’un savant papier, elle a traduit plusieurs travaux de savants chinois du plus haut intérêt.

Car c’est là une autre des facettes d’Helen, celui de traductrice. Je ne veux pas parler ici des traductions de français en anglais qu’elle a faites de plusieurs de mes travaux, car Helen est parfaitement francophone, comme vous allez le constater avec la communication qu’elle va vous présenter, mais d’un important travail de traduction de chinois en anglais. Helen est une traductrice de littérature pour la jeunesse très appréciée, je citerai simplement les traductions de deux livres bien connus en Chine, Bronze et Tournesol de Cao Wenxuan et Chacal et Loup de Shen Shixi, des traductions qui lui ont valu des prix aussi bien au Royaume Uni qu’en Chine populaire.

Pour finir, je dois dire qu’Helen et moi avons été, dans nos fonctions, des contemporains, puisque je suis entré comme conservateur au Cabinet des Médailles en 1989 et elle au Department of Coins and Medals en 1991. C’était une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, où l’on se rencontrait, où l’on se téléphonait en cas d’urgence, où l’on s’écrivait des lettres sur du papier, où l’on demandait des photos, qui entre la prise de vue, le tirage et l’expédition, nous parvenaient des semaines après, une époque de vraies relations humaines, sans like et sans followers. Ce fut toujours, jusqu’à mon départ, un réel plaisir de travailler avec Helen, je n’insisterai pas sur ce que je lui dois, sur ce que le Cabinet des Médailles lui doit, sur sa disponibilité, sur ses conseils toujours avisés, ses corrections toujours pertinentes et justifiées, son aide et aussi sur sa gentillesse qui en faisait une collègue bien agréable dans les colloques et congrès.

Helen Wang (汪海嵐)  est Curator of East Asian Money, elle est membre de la Royal Numismatic Society depuis 1990, en devient secrétaire en 2011 et vice-présidente depuis 2018, membre honoraire du comité éditorial de la revue Zhongguo qianbi 中國錢幣. J’ajouterai qu’Helen est également la dernière spécialiste d’Extrême-Orient encore en poste dans une institution numismatique en Occident… Prenez soin d’elle.

François Thierry

            Mme Wang remercie la SFN et prononce (en français) une communication intitulée « Chinese Numismatics in the West ».

Remise du jeton de vermeil 2019 à Mme Helen Wang.

De g. à dr., Mmes et MM. François Thierry, Helen Wang, Catherine Grandjean, Michel Amandry et Jean-Pierre Garnier.


[1] Wang Helen, Cowell Michael, Cribb Joe et Bowman Sheridan, Metallurgical Analysis of Chinese Coins in the British Museum, Reasearch Publication n152, Londres, British Museum Press, 2005.

[2] Sakuraki Shin’ichi, Wang Helen et Kornicki Peter, Catalogue of the Japanese Coin Collection (pre-Meiji) at the British Museum with special reference to Kutsuki Masatsuna, Londres, British Museum Press,  2010.

[3] Wang Helen, « Coins and Membership Token of the Heaven and Earth Society », NC, 154, 1994, 167-190.

[4] Wang Helen, « Late Qing paper money from Dianshizhai and other printing houses in Shanghai, 1905-1912 », dans Hewitt Virginia (éd.), The Banker’s Art, Studies in paper money, Londres, British Museum Press 1995, 94-117

[5] Wang Helen, « Local bronze tokens issued in Jiangsu, China, in the 1930s », NC 1997, 157-177, pl. XXX-XXXIV

[6] Wang Helen, Chairman Mao Badges, Symbols and Slogans of the Cultural Revolution, Londres, British Museum Press, 2008

[7] Wang Helen, Money on the Silk Road, The Evidence from Eastern Central Asia to c. AD 800, including a catalogue of the coins collected by Sir Aurel Stein, Londres, British Museum Press, 2004.

[8] Hansen Valerie et Wang Helen, Textiles as Money on the Silk Road, Special Issue of the Journal of the Royal Asiatic Society, Third Series, vol. 23, issue 2 (Avril 2013).