Décès de Maria R-Alföldi (1926-2022)

La mort de Maria R.-Alföldi à Francfort-sur-le-Main le 7 mai dernier a endeuillé le monde de la numismatique. Avec elle disparaît une éminente savante et une figure majeure de notre discipline, reconnue internationalement comme spécialiste des monnayages grecs et romains.

Née en 1926 dans la Hongrie de l’entre-deux-guerres, elle avait vu le jour à Budapest, dans une famille aisée. Après l’Abitur en 1944, elle avait suivi jusqu’en 1949 un cursus universitaire à la faculté de philosophie de l’université de Budapest, sous la direction du grand historien Andreas Alföldi (1895-1981). Dès 1947, année de son mariage avec l’archéologue et spécialiste du monde romain provincial Aladár Radnóti (1913-1972), elle travailla au Musée national hongrois, tout en assurant à partir de 1950 des séminaires à l’université.

La grande rupture intervint lors de la révolution de 1956, avec le soulèvement de Budapest et l’incendie du Musée National. L’exil, en compagnie des deux cent dix mille hongrois qui quittèrent alors le pays, ouvrit une nouvelle période de sa vie. Elle fut marquée par une pérégrination en Allemagne qui commença à Munich et s’acheva à Francfort-sur-le-Main, au gré des postes obtenus par son mari qui devint en 1962 Professeur d’archéologie et d’histoire provinciale à l’Université Goethe de Francfort. De 1957 à 1962, Maria R.-Alföldi fut chercheuse rattachée au projet des FMRD (Die Fundmünzen der römischen Zeit in Deutschland), période qu’elle mit à profit pour passer en 1962 son habilitation en numismatique à l’Université Ludwig Maximilian. Publié l’année suivante, ce mémoire, qui portait sur les émissions d’or d’époque constantinienne, la consacra comme une spécialiste incontournable des monnayages impériaux de l’Antiquité tardive [Die Constantinische Goldprägung. Untersuchungen zu ihrer Bedeutung für Kaiserpolitik und Hofkunst, Philipp von Zabern, Mayence, 1963].

Elle succéda en 1973 à la chaire détenue par son mari, mort prématurément d’une attaque cardiaque en décembre 1972. C’est dans ce cadre qu’elle accomplit l’ensemble de sa carrière, enseignant dans le séminaire d’histoire grecque et romaine qu’elle n’abandonna qu’au moment de partir à la retraite en 1991.

En plus de ses activités universitaires, elle fut chargée de diriger et de coordonner plusieurs programmes de recherches de grande ampleur, comme la série des FMRD avec Hans-Markus von Kaenel, série pour laquelle elle publia personnellement plusieurs volumes, en particulier ceux concernant Trèves et sa région. Après la chute du mur, elle fut aussi nommée à la têtedu programme du Griechische Münzwerk de l’Académie des sciences de Berlin.

Les travaux de Maria R.-Alföldi sont nombreux, sa bibliographie très étendue, et il apparait impossible de tout dire et résumer en quelques lignes (on compte 123 entrées à son nom dans la base bibliographique Zenon du Deutsche Archaölogische Institut). Ses ouvrages et articles personnels reflètent bien sa personnalité et ses centres d’intérêt, éclectiques mais marqués par une profonde unité : on y retrouve son goût pour la numismatique et ses méthodes qui déboucha sur la parution d’un important manuel en 1978 [Antike Numismatik. Teil 1: Theorie und Praxis & Teil 2: Bibliographie, Philipp von Zabern, Mayence, 1978], ou encore sa curiosité pour déchiffrer les images ainsi que le fonctionnement du message monétaire [Bild und Bildersprache der römischen Kaiser. Beispiele und Analysen, Philipp von Zabern, Mayence, 1999]. La numismatique grecque n’est pas négligée avec une importante monographie sur les décadrachmes publiée en 1976 [Dekadrachmon. Ein forschungsgeschichtliches Phänomen, Franz Steiner Verlag, Wiesbaden, 1976].

Sa réputation fut consacrée par de nombreux prix et témoignages de reconnaissances. Notre société fut l’une des premières à honorer Maria R.-Alföldi du jeton de Vermeil. C’était en 1978. D’autres honneurs suivirent, comme la médaille de la Royal Numismatic Society en 1995 ou encore la Archer M. Huntington Medal de l’American Numismatic Society. Elle était aussi correspondante ou membre de nombreuses institutions académiques et sociétés savantes (Italie, Autriche, Hongrie), comme l’Akademie der Wissenschaften und der Literatur-Mainz, ou encore le Deutsche Archaölogische Institut. Sa plus grande reconnaissance lui fut attribuée en 1992 quand elle reçut la prestigieuse Croix du mérite de la République fédérale allemande.

Au cours d’une longue vie consacrée à la science mais aussi marquée par les tourbillons de la grande histoire, elle sut être une pédagogue généreuse, maître de numismates de renoms comme H.-R. Baldus ou P.-H. Martin, doublée d’une animatrice infatigable de la recherche comme l’attestent les témoignages chaleureux qui se dégagent des contributions de ses mélanges parus en 1991 [H.-C. Noeske, H.-R. Baldus, A. Geissen & P.-H. Martin (éd.), Die Münze. Bild – Botschaft – Bedeutung. Festschrift für Maria R. Alföldi, Francfort-sur-le-Main, 1991]. Jusqu’à ses deniers jours, elle sut avec bienveillance partager son savoir à de jeunes chercheurs et garder toute son acuité intellectuelle. Sa disparition marque profondément ceux qui l’ont personnellement connu, ses amis, ses collègues, ses disciplines, comme on peut en prendre la mesure dans les nombreux messages affectueux lus dans les pages de plusieurs quotidiens allemands ainsi que sur les réseaux sociaux. Maria R.-Alföldi laisse des écrits nombreux, une œuvre à la fois cohérente et foisonnante, marquée par une grande hauteur de vue, que ses disciples et futurs lecteurs pourront lire, relire, approfondir.

Antony HOSTEIN